Mere et sa fille sourde
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Le témoignage d'un jeune sourd

Jérémie Boroy

Je suis Jérémie Boroy, j'ai 26 ans et suis originaire de Caen, en Normandie. Je suis sourd de naissance, profond du premier groupe. Ma surdité bilatérale a été dépistée a l'age de 18 mois et j'ai été immédiatement appareillé.
Mes parents sont entendants et enseignants. J'ai une soeur, Jessica, qui a 21 ans et qui est aussi sourde, profonde du 2ème groupe. Elle est étudiante a l'école des Beaux-Arts de Caen.


Mon parcours, sous l'angle de ma surdité


Je n'insisterai pas sur ma petite enfance, elle est très classique et commune a beaucoup d'enfants sourds, on a sorti l'artillerie lourde dont je vous passe les détails : audioprothésiste, orthophoniste, psychologue et j'en passe !
Un détail quand même. . . : des l'annonce de ma surdité, mes parents se sont interrogés pour se demander comment ils allaient communiquer avec moi dans leur langue, c'est-à-dire en français. L'objectif était que le français soit ma langue maternelle. Ca tombait bien, «Communiquer», le petit bulletin de l'ANPEDA, venait de faire un compte-rendu d'une conférence du Docteur Cornett qui était venu en France présenter sa trouvaille. L'article de «Communiquer» reproduisait les clefs du code. Mes parents s'y sont donc collés et une semaine plus tard, ils me codaient leurs premières phrases. II faut reconnaître qu'en 1978, il s'agissait surtout d'y croire.

J'ai démarré ma scolarité en totale intégration des l'école maternelle, jusqu'au lycée. Je n'ai pas eu de codeur avant le lycée, où j'ai demandé à en avoir un pour quelques heures par semaine. Du point de vue de ma surdité, cette intégration s'est très bien passée.

Ensuite, je suis passé a la deuxième étape de cette intégration, en allant à l'Université. C'était un peu plus délicat, car j'étais dans un univers un peu moins «protégé», où il m'a fallu compter un plus sur moi-même que sur les enseignants pour espérer suivre un minimum. A la fac, j'y ai fait un peu de tout, peut-être parce que je ne savais pas trop ce que j'allais faire, mais surtout parce que finalement, je ne suis pas bon en tout ! J'ai fini par décrocher une licence de communication politique. Actuellement, je suis diplômé de Sciences Po, l'lnstitut d'Etudes Politiques de Paris.

En parallèle, et on passe à la troisième étape de mon intégration, j'ai démarré mon parcours professionnel par le journalisme. J'ai été journaliste pour l'hebdomadaire d'un parti politique, ou je suivais I'actualité parlementaire. Cette expérience de deux ans fût particulièrement riche, mais surtout formatrice dans le sens où mon travail et ma surdité n'étaient pas toujours très compatibles. Je me suis souvent retrouvé dans des situations assez handicapantes (rédiger des compte-rendus de débat, faire des interviews de personnes à qui je ne pouvais pas toujours demander de recommencer parce que je n'avais rien compris). J'ai donc profité de cette expérience pour apprendre à résoudre certaines situations de handicap mais aussi pour connaître mes propres limites.

Depuis trois ans, je suis assistant parlementaire a l'Assemblée nationale où je travaille auprès de députés. Là aussi, l'essentiel du travail repose sur la communication ; mais ça se passe vraiment très bien et surtout, je suis dans mon élément.

Plus récemment, j'ai vécu une nouvelle expérience qui m'a apporté énormément. Je me suis présenté à une élection cantonale en mars dernier (en France, nous élisons des conseillers généraux dans des cantons). Ce fût fabuleux, pas seulement d'un point de vue politique parce que je suis arrivé au deuxième tour, mais aussi par rapport à ma surdité. Vous l’imaginez bien, pendant toute la campagne électorale, cette surdité a été mise a l'épreuve.
Il s'agissait d'un canton rural, avec des gens de la campagne à qui il fallait faire accepter l'idée qu'un candidat puisse être sourd et qu'il était tout à fait possible de voter pour lui ! De plus, sans connotation péjorative de ma part, à la campagne, on s'exprime souvent de manière peu intelligible, avec de temps en temps, une tendance au patois... ce qui n'était pas pour me faciliter la tâche ! Les réunions publiques, le porte-à-porte, les permanences, les relations presse, les rencontres avec les électeurs sur le marche etc... autant de situations de véritable stimulation ou en matière de communication, j'avais plutôt intérêt à m'accrocher ! (…) Résultat des courses: je suis pressé de recommencer


Quel est mon regard sur la LPC ?

C'est très simple. Je viens de vous présenter rapidement mon parcours et mes choix professionnels. Ces choix auraient pu être autres. Mais en fait, ce sont mes choix. Au fond, qu'il y a-t-il de plus important que d'avoir la liberté de choisir ? Je pense que Quentin, Noémi et les autres vous diront la même chose: eux aussi ont pu faire de véritables choix. Pourquoi j'insiste sur cette liberté de choix ? Parce que pendant longtemps, trop longtemps, on a considéré les personnes sourdes inaptes à exercer un bon nombre d'activités et on a eu plutôt tendance à faire des choix à leur place, et ces choix étaient restreints.

Or, en ce qui me concerne, je n'ai jamais eu le sentiment que ma surdité m'empêcherait de faire ce que j'ai envie de faire. Ce qui ne veut pas dire que je ne me retrouve jamais en situation de handicap du fait de ma surdité. Loin de là ! Mais j'ose penser que lorsqu'on vit bien sa surdité, on peut être en mesure de surmonter (ou de contourner) ces situations de handicap. J'en viens au sujet : pour justement être libre dans mes choix, il m'a fallu quelque chose d'essentiel : la langue française. La possibilité que j'ai de comprendre le français, de me faire comprendre en français, de lire et écrire en français, de penser en français, cette possibilité-là, elle est bien évidemment la condition sine qua non de ma liberté de choix. Vous remarquerez que la même problématique se pose pour tout le monde, sourd ou non...Je ne sais pas si sans la LPC, j'aurais eu les mêmes possibilités. Mais il est certain que la LPC m'a facilité les choses et il m'arrive souvent de penser à ce qu'aurait été mon quotidien sans LPC : sans doute pénible, fatiguant, décourageant, au lieu d'être, comme l'est justement la LPC : fluide, reposant et stimulant.
Vous comprendrez donc que je sois particulièrement attaché aux possibilités et aux enjeux de la LPC, ou plutôt de l'accès à la langue française.

Dans la combinaison :
faire parler l'enfant sourd,
faire entendre l'enfant sourd,
faire accéder l'enfant sourd à la langue.


On privilégie encore souvent les deux premiers impératifs. Je pense que le troisième, l'impératif de l'accès à la langue, doit être le premier. Sans bien entendre, même si ce n'est pas toujours facile, on peut toujours se débrouiller. Sans bien parler, même si ce n'est pas toujours commode, on peut toujours s'en sortir. Sans la langue, en revanche, on ne peut rien du tout.De façon plus personnelle, je dirai aussi qu'à des projets confus, dont on ne mesure pas les conséquences à long terme pour l'enfant sourd, il faut oser préférer des projets clairs et limpides aux objectifs bien affirmés. Le projet LPC, avec code à la maison et intégration scolaire est un projet clair.
Comme ceux qui sont à cette tribune, j'ai eu la chance de bénéficier de ce projet clair. Maintenant, à mes yeux, le but du jeu est que la LPC ne relève plus de la chance mais de la réalité.

Intervention Congrès Bruxelles ALPC-Belgique. 3 Février 2002
 
 
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